Ce ne sont pas seulement les négociations qui engendrent du bruit ces derniers jours dans le marché de Hédzranawoé, mais aussi une fronde contre la présidente du comité central de cet espace marchand. Des commerçantes accusent Rabiétou ADJABODE d’abus de pouvoir et de détournement. Sur place, cependant, associations et administration dénoncent une cabale dirigée contre elle et lui témoignent un soutien massif. Enquête sur un conflit qui secoue l’un des marchés les plus animés de Lomé.
Le marché de Hédzranawoé, situé au nord-est de Lomé et habituellement bruyant de négociations et de rires, fait face à une agitation inhabituelle. Depuis plusieurs jours, cinq commerçantes — sur plus de dix mille — réclament la tête de Rabiétou ADJABODE, présidente du comité central, qu’elles accusent notamment de prélèvements illégaux, de détournement de fonds et d’abus d’autorité.
« Nous sommes à bout », réagit l'une des frondeuses. « Depuis sept ans, cette présidente nous impose sa loi. Elle prélève des taxes parallèles, en plus de celles de l’EPAM, et fixe les montants comme bon lui semble — parfois jusqu’à 25 000 F CFA. Si l’on proteste, elle menace d’appeler la police, affirmant être couverte par l’EPAM. Elle en vient même à gifler des commerçantes lors de disputes », accuse-t-elle.
Pourtant, une enquête du journal Le Ténor News révèle une tout autre réalité : l’Établissement public autonome pour l’exploitation des marchés (EPAM), les associations de commerçantes ainsi que la majorité des revendeuses démentent les accusations, qu’ils considèrent comme une manœuvre relevant d’un règlement de comptes personnel.
Au cœur des tensions : une dette non honorée, des taxes harmonisées qui ont stabilisé les activités des revendeuses, et une présidente dont le bilan semble faire de l’ombre à certaines.
Une dette impayée à l’origine de la fronde
D’après Mme ADJABODE, la contestation découle d’un différend financier. L’une des commerçantes impliquées lui aurait acheté à crédit des pagnes qu’elle avait commandés sur fonds propres, à la demande des associations, pour la célébration du 1er mai dernier. Cette commerçante serait donc passée à plusieurs reprises auprès de la présidente pour récupérer des lots de pagnes, qu’elle revendait ensuite aux autres femmes du marché, tout en remboursant au compte-gouttes. Le montant restant dû s’élèverait à 360 000 F CFA. Toutefois, après avoir écoulé les pagnes, la débitrice ne reconnaîtrait devoir à sa créancière que 80 000 F CFA. Elle refuserait également de se présenter pour faire les comptes et clarifier la situation, malgré de nombreuses relances.
« Elle a juré de me rendre la vie impossible, simplement parce que je réclame mon argent. Au lieu de régler ce différend entre nous, elle en a fait une affaire collective, entraînant avec elle quatre autres femmes dans une fronde », déclare Mme ADJABODE.
Les frondeuses l’accusent d’avoir imposé aux commerçantes l'achat forcé de pagnes sous menace de sanctions. La présidente affirme qu’il ne s’agissait que d’un simple malentendu, rapidement clarifié.
« Je reconnais que, pour encourager tout le monde à porter les couleurs du 1er mai le jour J, le comité central a laissé entendre à certaines commerçantes que celles qui n’achèteraient pas le pagne pourraient être sanctionnées. Mais ce n’étaient que des paroles en l’air, rien de sérieux. Dès que nous avons compris que cela pouvait prêter à confusion, nous avons pris la parole pour clarifier les choses : il n’y avait aucune obligation. Malgré cette mise au point, certaines femmes ont utilisé cet incident pour ternir mon image et celle de mon bureau », explique-t-elle.
Démentis officiels : l’EPAM et le comité central rejettent les allégations
Parmi les accusations relayées dans les médias figure celle du prélèvement de taxes parallèles par Mme ADJABODE. Mais l’EPAM est catégorique : « La gestion des tickets incombe exclusivement à l’EPAM, pas au comité central », tranche Djibril TCHAGBELEH, directeur général adjoint de l’institution.
La secrétaire générale du comité central, Enyonam DEGBE, renchérit : « Ces accusations n’ont aucun sens. L’EPAM est la seule structure habilitée à collecter les taxes. Le comité central n’a aucun rôle là-dedans. ».
Même son de cloche chez les associations du marché, qui se désolidarisent des frondeuses. Monique ADADE, membre de l’association Novikpokpo dont sont issues les cinq contestataires, rappelle : « C’est même la présidente qui, il y a quelques jours, a résolu le problème des doubles impositions de tickets soulevé par certaines commerçantes. Dès que l’affaire a été portée à sa connaissance, elle a immédiatement saisi la directrice générale de l’EPAM, qui a mené personnellement l’enquête. Le problème est désormais résolu. Ces accusations contre elle sont injustes. »
Répondant aux accusations de détournement des impôts payés par les commerçantes, le comité central du marché précise que le paiement collectif a été initié par l’Office togolais des recettes (OTR) et confié au comité afin d’éviter le désordre, les tracasseries et les irrégularités lors des perceptions. Le marché de Hédzranawoé ne fait d’ailleurs pas exception : cette pratique est également en vigueur dans d’autres marchés de Lomé.
Le comité se veut rassurant : « La traçabilité des contributions ne souffre d’aucune anomalie. » À chaque collecte, un reçu global est délivré par l’OTR, et des reçus individuels sont remis à chaque commerçante au niveau central — des preuves qu’elles peuvent utiliser en cas de contestation. « Pas une seule fois l’OTR ne nous a accusés de détournement », affirme un membre du comité.
Le retour au paiement individuel des impôts — réclamé par les frondeuses — inquiète les autres commerçantes. Ce mode de paiement, autrefois en vigueur, obligeait chacune à s’acquitter d’un montant évalué en fonction de la valeur de ses marchandises, ce qui le rendait beaucoup plus coûteux.
Un bilan positif qui invalide les accusations
Dans les allées du marché, les témoignages en soutien à Mme ADJABODE se multiplient. Malgré la polémique, ses réalisations sont largement reconnues. Parmi les avancées majeures de sa présidence figurent la baisse significative des impôts, la sécurisation des espaces de vente et l’accès à des formations.
Sur le plan fiscal, son plaidoyer auprès de l’OTR a permis de faire passer les impôts variables — allant de 5 000 à 13 000 FCFA, voire plus — à un forfait unique de 2 000 FCFA, via le mode de paiement collectif. Résultat : les commerçantes, autrefois contraintes de fuir le marché pour échapper aux collecteurs, restent désormais en place toute l’année.
Pour beaucoup, c’est aussi grâce à cette présidente que l’esplanade du marché, autrefois occupée de manière anarchique par les taxis et les motos, est aujourd’hui dégagée et réservée aux revendeuses.
« Avant, nous étions sans cesse chassées. Aujourd’hui, nous avons des places stables, et c’est à elle que nous le devons », témoigne une membre de l’association Novikpokpo. Une autre ajoute : « Qu’on ne salisse pas son nom. Elle a toujours été là pour nous, avec un vrai cœur de mère. Elle n’a jamais levé la main sur qui que ce soit dans ce marché, ça ne lui ressemble pas du tout. »
Si les commerçantes frondeuses persistent dans leurs accusations, les revendeuses interrogées, elles, restent solidaires de Rabiétou ADJABODE. Elles saluent son dévouement, son sens du dialogue et son leadership — des qualités qui ont largement pesé en sa faveur lors de son élection, en 2022, au poste de coordinatrice de la Plateforme des commerçantes du Togo, laquelle regroupe les associations de commerçantes des différents marchés du pays. Dans ce rôle, elle mène une lutte sans relâche pour que les commerçantes aient accès à des formations sur des thématiques essentielles à leur développement personnel et professionnel, tout en veillant à la défense de leurs droits.
« C’est une femme au grand cœur, toujours prête à aider », affirment plusieurs témoins.
Une chose est sûre : la tentative de déstabilisation de Rabiétou ADJABODE peine à trouver un véritable écho dans le marché de Hédzranawoé. Soutenue par l’ensemble des associations et commerçantes, la présidente du comité central conserve son poste et sa crédibilité. Son profil de leader accessible et son bilan tangible semblent lui assurer une légitimité que cinq frondeuses auront du mal à remettre en cause.
L’EPAM envisage-t-il une médiation ? La présidente portera-t-elle plainte pour diffamation ? Affaire à suivre.
LA REDACTION
TOGO – Marché de Hédzranawoé : Large soutien à la présidente Rabiétou ADJABODE face à des accusations controversées